Things get all mixed up inside my brain
Des années durant, ils ont essayé d'avoir un enfant. Une famille comme la leur ne pouvait pas s'en passer, pas alors qu'Anton Strätton et Judy Lee avaient déjà des plans pour leur héritier à venir. Ça n'était pas qu'une envie, c'était une obligation. Mais obligation ou non, quand la nature décide de s'en mêler, il arrive que les choses ne se passent pas comme prévues.
C'est assez tard que Judy est tombée enceinte d'Eallison, ce petit garçon qui se faisait tant attendre. Ils en étaient déjà persuadés, c'était leur unique chance, il fallait que tout soit parfait. Et ce bébé aux cheveux si sombre le serait,
oh que oui, il le serait.
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« Eallison, tu m'expliques ce que c'est que cette note ? Je croyais que nous nous étions mis d'accord ?? »
« Mais, maman... Je n'y arrive pas, je ne comprends pas... »
« Alors, travaille, encore ! Tu peux faire mieux que ça, toi et moi, nous le savons ! Va donc faire tes devoirs, et que ce genre de choses n'arrive plus ! »
Si le jeune garçon traîne un peu des pieds en montant l'escalier, discrètement, pour ne pas avoir droit à de nouveaux reproches, c'est parce qu'à onze ans, il est partagé. Partagé entre l'envie de faire la fierté de ses parents, et celle de sortir, de profiter du monde, des quelques copains qu'il pourrait avoir s'il en avait le temps. Il sait que ses parents veulent les meilleures choses pour lui, mais parfois, parfois seulement, il voit ça comme une punition. Mais peut-être qu'en faisant mieux, en leur montrant qu'il peut être à la hauteur, les choses se calmeront ? Peut-être...
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Ses efforts sont payants, ses notes touchent le plafond presque à chaque fois, et il sourit timidement quand ses parents vantent ses mérites auprès de leurs amis. La seule envie qu'il a, c'est d'aller voir Lisbeth, de vérifier comment elle va. Sincèrement, ce genre d'ambiance, il s'en fiche un peu, il ne s'y sent pas à l'aise. Il souhaite s'éclipser, respirer un peu, chose qu'il n'a le temps de faire ni chez lui, ni au lycée. Parce qu'il travaille. Encore. Et encore. C'est ce qu'il faut, pour que ses parents le regardent avec cette lueur dans leurs yeux, cette lueur qu'il aime tant voir chez eux, qui lui montre qu'il est bon à quelque chose, qu'il répond à leurs attentes. Oh oui, il l'aime, mais parfois, il se demande ce que ça donnerait s'il relâchait juste un peu la pression, rien qu'un tout petit peu... Ce poids l'étouffe peu à peu, et au fond, il se demande comment, combien de temps encore, il va pouvoir tenir comme ça.
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Ses études à l'université sont déjà assurées, ses parents ayant largement de quoi les lui payer, et ses notes lui permettant sans aucun doute de rentrer dans celle de son choix. Mais quand il se rend en ville, qu'il passe devant la boutique du fleuriste chez lequel il achète parfois des fleurs pour sa mère, il réalise qu'il n'en a pas envie. Il n'a pas envie de devenir médecin, avocat, ou n'importe quoi d'autre. Il n'a pas envie de continuer à passer une partie de sa vie sur les bancs de l'école. Ce qu'il aime lui, malgré toutes attentes, ce sont les plantes. Les fleurs, en particulier. Comme il aimerait pouvoir les marier avec autant de technique que cet homme. Mais ça, il le garde pour lui, parce que sa famille ne l'accepterait pas. Enfin, pour lui, et pour Elle, aussi. Lisbeth le sait, mais il lui a demandé de garder le silence, de peur de la réaction que ses parents pourraient avoir.
Les études le plombent, il commence à y aller à reculons, donnant l'illusion que tout est parfait, mais s'évadant dans sa tête autant qu'il le peut sans que ça ait trop d'impact sur sa scolarité. Il craque, doucement, mais sûrement. Et même s'il l'ignore, ce n'est plus qu'une question de temps avant que les choses commencent sérieusement à plonger.
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Ça y est, il est major de promotion. À la prochaine rentrée, il foulera du pied les marches de l'université de Columbia. Et aujourd'hui, il doit prendre la parole devant ces gens qu'il ne connait que de nom, que de visage, pour les avoir fréquentés pendant quatre ans sans jamais avoir pu réellement passer de temps avec eux. Aujourd'hui, ses parents vont le regarder avec toute la fierté du monde, et là, il ne ressent rien. Rien d'autre que ses tripes qui se serrent, que cette panique qui s'empare de son torse sans qu'il puisse la contrôler. Sa respiration lui semble affolée, ses mains tremblent. Son nom est appelé, ses professeurs attendant de lui un discours qui marquera chacun des élèves ici présent. Il s'avance, et son cœur bat tellement fort dans ses tempes qu'il n'entend plus que ça. Tous les regards sont sur lui, et il est pris de sueurs froides. Il voit, ou croit voir, certains sourires narquois sur certains visages. Le silence s'installe, il ouvre et ferme la bouche plusieurs fois, le regard de ses parents change. Ce qu'il y lit, ça n'est pas de l'inquiétude, c'est du désappointement.
Son nom est crié, mais ses pieds heurtent le sol à toute vitesse pour lui permettre de s'échapper, de fuir tout ça. Il n'arrive plus à respirer, plus à penser. Il a juste besoin de s'éloigner de tout ça, de cette honte qu'il ressent, de sa peine. Il les a déçus. Et il sait que ce soir, il va devoir les affronter. Pas seulement pour son silence, mais aussi pour son futur. Après tout, il n'est plus à ça près.
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C'est un désastre. La colère sur le visage de son père, le choc sur le visage de sa mère, il ne les oubliera surement jamais. Pas plus que leurs derniers mots à son égard, ces mots qui le brisent et le laissent sans rien, rien de plus que ce nom de famille qu'il n'est pas sûr d'avoir le courage de garder. Heureusement qu'Elle est là, qu'Elle le soutient, qu'Elle le comprend et l'aide. Il en est persuadé, sans Elle, il ne serait rien.
Au final, il s'en remet doucement, ou tout du moins arrive à vivre avec sa perte. Certains jours, certaines nuits, ça le hante encore, mais il finit par suivre sa voie, sans plus rien pour le retenir. Et quand Lisbeth, dont il s'est vraiment rapproché, décide de quitter les Etats-Unis pour l'Australie, il la suit, prenant lui-même un appartement et un travail là-bas pour continuer d'être avec elle, d'être présent pour elle autant qu'elle l'a été pour lui. Pour être honnête, il se sent mieux depuis qu'il est ici. Depuis son incident, il est incapable de gérer la pression qu'il ressent lorsqu'il doit prendre la parole en public, mais au moins, il ne se sent plus étouffé, et ça, c'est un bien pour un mal, si on peut dire...