oh take me back to the start
«
Elle est magnifique. » S'exclame ma tante, penchée sur mon berceau, les mains jointes et les larmes aux yeux. Ce n'est pas parce que ma naissance ne l'enchante pas, une naissance est généralement synonyme d'enchantement, mais c'est parce qu'elle-même aurait du avoir une petite fille à pomponner, sauf qu'elle est née avec un défaut au cœur et n'a pas survécu une semaine. Ma cousine s'appelait Aliénor, et c'est pour lui rendre hommage que je porte son prénom. Normalement, j'aurai dû m'appeler Ellen. C'est bien, Ellen, je trouve. Mais Aliénor aussi, alors je ne suis pas à plaindre niveau prénoms. Sur le lit d'hôpital, ma mère sourit. Elle est contente, parce que oui, il paraît que je suis un joli bébé et qu'elle voit déjà toutes les choses à faire avec moi : que ça aille des séances photos parents-enfant dans le dernier magazine people à la mode, à celles de shopping avec sa sœur pour trouver des vêtements de bébés tous plus chers les uns que les autres, mais aussi plus tard au film dans lesquels je pourrai jouer à ses côtés. Mon père, lui, n'est pas là, il est encore sur le tournage d'un film sur le continent américain. Il n'est même pas au courant de ma naissance, pas encore. Il l'apprendra demain, parce que maman n'arrivera pas à le joindre avant. Il commence sa carrière de réalisateur, en est à son deuxième film et est très occupé, mais cela ne l'empêchera pas d'être heureux d'apprendre ma naissance. Maman et Papa se sont d'ailleurs rencontrés sur le tournage de son premier film. Maman commençait à se faire un nom dans l'industrie du cinéma américain, on la qualifiait « d'ovni australien » alors que Papa apportait tout son talents et ses idées loufoques de Suède. Papa m'a raconte plus tard qu'entre eux, ce fut le coup de foudre. Enfin, pour lui, du moins. Parce que Maman n'avait pas céder à ses avances, ô combien galantes fut-elle, de suite. Mais le fait est, qu'à peine deux ans plus tard je suis née, pour leur plus grand bonheur paraît-il. Parce que je gigote, ma tante me prend dans ses bras avant d'aller s'asseoir à côté de sa sœur. Ma tante, ce sera comme une seconde mère pour moi, par la suite. Sauf que discuter avec elle, ce sera beaucoup plus reposant que discuter avec ma vrai mère qui semble vouloir contrôler ma vie au moindre détail.
Par exemple, l'école. Selon ma mère, je ne devrais même pas y aller. Ça m'a fait un choc, le jour où je me suis fait crier dessus parce que j'avais eu une bonne note. J'avais 10 ans. Moi, j'étais super fière parce que j'avais peiné à apprendre la dernière leçon de maths. Maman m'avait dit qu'au lieu de passer du temps à apprendre à manipuler des chiffres, je ferai mieux de suivre pendant les cours de théâtres auxquels elle m'avait inscrite. Sauf que moi, je n'aimais pas le théâtre. Et je ne voulais pas devenir actrice comme elle, ça ne m'intéressait absolument pas. A cause de ça, Maman était souvent absente, et la vie extravagante qu'elle avait ne me faisait pas envie : les jolies robes, oui, mais les jolies robes pour aller les montrer au monde entier, non. Les habits chers aussi, non. Les grandes maisons vides, non. La voir embrasser des autres hommes que Papa, non et encore non ! Papa, lui, faisait son possible pour être à la maison. Il pourrait avoir une carrière excellente s'il ne la ralentissait pas pour s'occuper un peu de moi, pour éviter que je ne sois tout le temps avec ma nourrice. Ma mère l'a un peu détesté pour ça, parce qu'en plus il faisait mon éducation « dans les normes » et ne m'obligeais pas à aller à son foutu cours de théâtre. Il m'a même inscrit dans un cours de peinture à ma demande. Parce que je dessinais mal, mais j'aimais ça. Ça me passionnait bien plus que Shakespeare et autres auteurs classiques, en tout cas. Et puis, c'est en forgeant qu'on devient forgeron ! C'est vers 13 ans que ma mère a commencé réellement à me mettre la pression côté cinéma, il fallait absolument qu'elle me fasse découvrir cet univers qui lui était si cher et c'était maintenant ou jamais : la puberté commençait à faire son bout de chemin sur mon corps, alors j'étais prête. Elle a profité du fait que mon père ait réussi à mettre son « grand projet » sur pied pour me trouver un rôle dedans, et c'est comme ça que je me suis retrouvée embarquée sur le tournage d'un film d'horreur à 14 ans. Et ce n'est pas un euphémisme de dire que j'ai détesté ça : me lever tôt, avoir des inconnus qui me regardaient, être fatiguée en permanence et avoir mes deux parents pour me crier dessus dès que quelque chose ne va pas. Et puis, l'histoire en elle-même... J'avais 14, moi les films d'horreur ça me fait flipper quoi ! De plus, on m'y assassine en me noyant dedans. Depuis, j'ai peur de me noyer. C'est complètement débile, je sais, mais je n'y peux rien. Je ne prends jamais de bains, je ne vais jamais à la piscine ou à la plage et je prends les douches les plus rapides du monde ! Il y en a qui ont peur de la tronçonneuse sous la douche, moi, j'ai peur qu'un homme vienne pour me noyer, chacun son truc.
C'est après cette catastrophe qu'a été le film (qui a tout de même reçu de bonne critique, au plus grand plaisir de ma mère) que j'ai séjourné pour la première fois chez ma tante à Sydney. Pour souffler, un peu, me remettre de toute cette médiatisation : les Jane au cinéma. Très peu pour moi. J'ai réussi à reprendre une vie à peu près normale, pas grand monde ne me connaissais en Australie étant donné que j'avais vécu principalement sur le continent Américain. Et puis, à l'école, je n'étais pas connue pour être « celle qui a fait du cinéma » mais « celle qui est forte en maths » parce que c'est le cas. Ne vous moquez pas, moi je trouve ça passionnant les mathématiques ! Mais tout ça n'a pas duré longtemps : j'ai été rapatrié aux Etats-Unis par ma mère, qui avait des tas et des tas d'autres projets pour moi. Que j'ai refusé, tous. J'ai bien voulu une fois, pour lui faire plaisir, pour essayer, mais il était hors de question que je recommence. Moi, je voulais être normale. Avoir une vie normale, un métier normale comme prof d'art plastique pour pouvoir continuer à peindre, parce que oui j'aimais peindre et je détestais le cinéma, et avoir un mari et des enfants que je chérirai et ne mettrais pas de côté pour une stupide carrière. C'est après que je lui ai sorti mes arguments blessants lors d'une dispute qu'elle a arrangé mon emménagement définitif chez ma tante, à Brisbane cette fois parce qu'elle avait rencontré quelqu'un. Ça aurait pu me faire plaisir si je n'avais pas du me mettre à dos ma mère pour en arriver là. Parce que même si ce n'est pas la meilleure mère du monde, et bah c'est quand même ma mère. Mon père, lui, n'a pas eu son mot à dire mais il a promis de venir me voir dès qu'il en aurait l'occasion.
Et il a tenu sa promesse. Je le voyais tous les mois, voire tous les deux mois. Cela va bientôt faire deux ans que j'habite en Australie, chez ma tante Anna et son futur époux Christopher. En ce qui concerne ma mère, on a renoué le contact il y a un an environ, et elle a promis d'être là pour mon prochain anniversaire. Je vais avoir 17 ans, pour info. Le lycée, ça se passe bien. Je dirais que je suis plutôt populaire, dans le genre je fais partie de celles pour qui on s'arrête pour dire bonjour quand on les croise, et pour mon plus grand bonheur ce n'est pas à cause de ce maudit film où j'apparais... Bon, il y en a, si, mais la plupart c'est parce qu'on a été / est dans la même classe ou bien parce qu'ils ont vu mes peintures. C'est ce que je fais de mon temps libre, dont je dispose entièrement maintenant, la peinture. Du coup, je suis une excellente idée cadeau pour l'anniversaire d'une mère ou d'une soeur dans mon lycée. Mais malgré ça, cette pseudo notoriété ne m'intéresse toujours pas : faire plaisir, oui. Être populaire, non toujours pas ! C'est pour ça que je traîne principalement avec Merlin. Non, pas l'enchanteur, mon Merlin. Et oui, ce déterminant possessif est parfaitement justifié. Je l'ai rencontré cette année, bien que croisé auparavant au lycée. On s'est parlé au premier cours de sport de l'année : piscine. Ahah, la piscine. J'ai dû oublier mes affaires et piquer une crise monstre pour ne pas avoir à faire ce cycle là. Merlin, lui, il avait juste malencontreusement oublié ses affaires et du coup, on s'est retrouvé assis à côté sur un banc pendant deux heures. Moi tétanisée à la vue de mes camarades dans toute cette eau. Du coup il l'a vu et a tâché de me rassurer le mieux possible, qu'il fallait que je relativise parce que je n'étais pas dans cette eau... C'est mon meilleur ami, maintenant. Et si lors de notre première rencontre c'était moi la terrifiée de l'histoire, j'ai pu découvrir par la suite que lui aussi avait son côté apeuré. C'est pour ça que j'ai voulu devenir son amie, parce qu'il m'intriguait et que je voulais... L'aider ? En même temps, regardez sa tête : dès que vous le voyez vous avez envie de lui faire un câlin ! Au fil que notre relation grandissait, j'ai pu apprendre la vérité et comprendre la raison de son comportement : Merlin avait été enlevé, très jeune, et avait encore peur de se faire enlever. Et c'est parfaitement compréhensible. Mais pourtant, ces derniers temps il semble plus distrait que d'habitude. Moi-même, je suis plus distraite que d'habitude, parce que je me suis rendue compte que j'étais amoureuse de lui et que c'est la première fois que ça arrive et que je ne sais pas quoi faire mais... Lui il a l'air distrait pas amoureux, alors je ne sais pas. Peut-être que j'attends un miracle (ou du courage) pour lui dire ce que je ressens, ou peut-être que j'attends qu'il s'en rende compte seul. En tout cas, j'attends, parce qu'en attendant il reste mon meilleur ami. Et oui, j'aime mon meilleur ami.